Sifflet de sons seu(i)ls : Entendre et composer avec les bruits de fond
Mémoire de Master 2, Théories et Pratiques de la musique, Composition et réalisation musicale, Sous la dir. d’Anne Sèdes, Université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis, UFR Arts, Philosophie, Esthétique, Département Musique, 2018
Résumé
Les sons seuls sont des enregistrements de lieux clos sans activité humaine audible. Ils sont une représentation du silence. Ils sont aussi une sonorité : un bruit de fond à spectre continu, comme un fil ininterrompu et extrêmement léger. A partir d’un travail de composition exclusivement réalisé à partir d’enregistrements de sons seuls en multicanal, nous réfléchissons sur l’ambiguïté au sein de laquelle se confondent le silence, le bruit et le son. Si la musique et l’entente musicale sont généralement comprises comme un ensemble de capacités à manier et à traiter des objets (la hauteur, le rythme, la tonalité, le spectre, le poids, le grain etc.), la condition spatiotemporelle du son, son absence de médium perceptif unique (le son s’entend aussi par les pores de la peau), ainsi que la présence constante des bruits de fond ambiants, sont autant de points qui nous permettent de reconsidérer la viabilité d’une saisie appropriée de l’entente musicale. Ces bruits de fond sont produits par l’environnement (les ambiances des lieux ouverts ou clos), par le corps (les bruits digestifs, les flux sanguins mais aussi le « bruit » neuronal, ainsi que tous les sons d’oreille dont les otoémissions acoustiques), et par le psychisme (la possible persistance à l’âge adulte d’une entente prélinguistique). Partant d’un dialogue entre sciences cognitives et psychanalyse, nous posons la question des implications des bruits de fond dans la composition et l’entente musicale. La notion de sifflet est intégrée à notre approche comme une analogie entre la morphologie des sons qui laissent passer et certains phénomènes ou aspects liés à la perméabilité de la cognition et de l’entente musicale. En faisant interagir le paradigme de l’énaction issue de la pensée du neuroscientifique chilien Francisco Varela, notamment la notion d’arrière-plan qu’il met en évidence, avec l’approche psychanalytique du processus créatif de Didier Anizeu, nous entendons dégager les implications positives des pertes dans l’entente musicale. Nous pensons qu’il peut être utile de n’avoir pas su ou pu prendre si ce qui échappe et rompt la « tension vers », crée un événement retentissant sans précédent pour l’auditeur.
Abstract
Room tones are recordings of closed spaces without audible human activity. They are a representation of silence. They are also a sound: a continuous spectrum sound like an extremely fine yet unbroken thread. From a multichannel acousmatic composition exclusively made from room tones, we reflect on the ambiguous zone wherein silence, noise and sound merge. While music and musical listening are generally understood as a set of abilities for handling and processing objects (pitch, rhythm, tone, spectrum, weight, grain etc.), the spatiotemporal nature of sound, its lack of a single perceptual medium (sound is also heard through the pores of the skin), and the constant presence of background noise are all elements which allow us to reconsider the extent to which musical listening can allow for an appropriate input of music. These background noises are produced by the environment (the atmospheres of open or closed places), by the body (digestive noises and blood flows, as well as neuronal « noise » and all otoacoustic emissions), and by the psyche (the possible persistence in adulthood of a prelinguistic listening). Starting from a dialogue between cognitive sciences and psychoanalysis, we explore the implications of background noise for composition and musical listening. The notion of the whistle is integrated into our approach as an analogy between the morphology of passing sounds and certain phenomena or aspects related to the permeability of cognition and musical listening. By combining the paradigm of enaction as defined in the work of Chilean neuroscientist Francisco Varela, and in particular the notion of background that he articulates, with the psychoanalytic approach to the creative process proposed by Didier Anizeu, we seek to identify the positive implications of losses for musical listening. We believe that the inability to capture a sound can be a productive one when what escapes and breaks up the “tension toward” creates an unprecedented resounding event for the listener.