Haraka, 2021
Installation pour un dispositif d’occlusion en acier, silences de voix et excitateurs audio
« Haraka » signifie mouvement en arabe. De ce terme proviennent les mots « harki », un supplétif algérien de l’armée française durant la guerre d’indépendance algérienne, et « harka », la formation de supplétifs, le groupe mobile. Dans l’histoire du trauma colonial qui lie l’Algérie et la France, la question des harkis reste une des plus complexes et contradictoires. Rejoignant souvent les rangs de l’armée française pour des raisons financières, les harkis ont été considérés comme des traitres sur le sol algérien et ceux qui ont suivi la France ont été parqués avec leurs familles dans des camps de transit et de reclassement, parfois jusqu’au milieu des années 1970. Au sein de ce qu’on désigne sous le nom générique de harki, ou de force auxiliaire franco-musulmane, réside une multiplicité d’opinions et de positions déconcertantes que l’histoire écrite et les récits nationaux peinent à traduire.
Si l’archive des témoignages oraux révèle le ton avec lequel s’articule une parole, ces documents sonores donnent également à entendre les silences de voix, parfois longs et sans issue, qui ponctuent un témoignage. À partir d’une série d’entretiens, menés par Grégor Mathias avec d’anciens supplétifs, et conservés dans la phonothèque de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence, il s’agit de questionner le potentiel audible des silences liés à une mémoire traumatique.
Haraka est une installation sonore pour un dispositif cylindrique d’occlusion visuelle et de diffusion sonore, et quatorze silences de voix. Dans un enregistrement, une plage de silence peut être considérée comme un bruit de fond à spectre continu. La résistance du silence à la représentation est matériellement comprise dans le silence enregistré. À l’inverse d’un vide, il apparaît comme un potentiel en excès, une sonorité proche du bruit blanc qui comporte toutes les fréquences audibles à intensité égale et dans laquelle tout, a priori, pourrait être composé.
Constitué de neuf feuilles d’acier, le dispositif a pour fonction de rendre sensible l’épreuve difficile que représente l’écoute d’un mouvement pourtant toujours en potentiel dans un silence de voix. À intervalle irrégulier, une question est diffusée du plafond. Immédiatement après, les parois du cylindre occlusif sont activées par six excitateurs diffusant du son à travers l’acier. D’abord un choc interrompant la question, puis dans la résonance de celui-ci, des moments musicaux composés à partir des silences de voix conséquents aux questions. La particularité du dispositif est due aux écarts infra minces des zones de recouvrement des feuilles entre elles, qui, laissant passer un peu d’air, réagissent avec plus ou moins d’expression en fonction des sonorités diffusées. Continuellement redoublé de résonances incidentes pouvant aller du râle au cri, le dispositif feint les modalités d’une feinte vocale partiellement autonome agissant comme une silenciation de la source, alors inaudible en tant que telle.
Scénographie : Maryline Gillois
Métallurgie : Lou Force et Pablo Cano-Rozain
Image : Makoto C. Friedmann
Soutien : ArTeC, MSH Paris-Nord, Paris 8, EDESTA, MMSH, MSH Sud