Haraka

Haraka, 2021
Installation pour un dispositif d’occlusion en acier, silences de voix et excitateurs audio

« Haraka » signifie mouvement en arabe. De ce terme proviennent les mots « harki », l’ancien supplétif algérien de l’armée française durant la guerre d’indépendance algérienne, et « harka », la formation de supplétifs, le groupe mobile. Dans l’histoire du trauma colonial qui lie l’Algérie et la France, la question des harkis reste une des plus complexe et contradictoire. Comme toutes personnes ayant participé à une guerre, les harkis ont été exposés à des situations de violences ayant pu générer de l’effroi. Cet affect, qui désigne une trop grande frayeur, intervient chez le sujet qui se trouve, souvent sous le coup de la surprise, incapable de se représenter la situation de danger tout puissant dans laquelle il se voit tomber. C’est une réaction phobique limite qui accable le corps d’un grand choc affectif, et interrompt le mouvement de la pensée comme aussi toute forme d’expression vocale.

Les effets interactifs entre puissance coloniale et subjectivation des subalternes ou ex colonisés connaissent un seuil limite chez les harkis. Leurs mémoires sont marquées par une coïncidence déterminante et destructrice : une appartenance à la France en un certain sens forcée, et une attache affective à l’Algérie, qui bien que pouvant être refoulée, demeure cruciale. À la violence des faits et situations de guerre vécue par les harkis, se joint pour s’y confondre l’impossible représentation de l’abandon et du racisme. Considérés comme des traitres à l’après-guerre sur le sol algérien, ceux qui sont rapatriés en France se retrouvent parqués avec leurs familles dans des camps de transit et de reclassement, comme cela a été le cas à Rivesaltes.

Si l’archive orale révèle le ton avec lequel s’articule une parole, elle donne aussi à entendre les silences de voix, parfois longs et sans issue, qui ponctuent une enquête. Ces silences sont des témoignages, en lesquels se rejouent quelque chose de l’effroi. À partir d’une série d’entretiens, menés par l’historien Grégor Mathias avec d’anciens supplétifs, et conservés dans la phonothèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme d’Aix-en-Provence, le premier geste de l’installation sonore Haraka est de prendre le silence comme une sonorité de composition. Effectivement, dans un enregistrement, une plage de silence peut être considérée comme un bruit de fond. À l’inverse d’un vide, cela apparaît comme un excès, une sonorité proche du bruit blanc qui comporte toutes les fréquences du spectre audible à intensité égale et dans laquelle tout, a priori, pourrait être composé.

Conçue pour un dispositif d’écoute en acier, l’installation a ensuite pour fonction de rendre sensible l’action ambiguë de la blessure et d’inviter à réfléchir sur le potentiel audible des silences de voix. Mettant en œuvre à la fois l’enfermement de la mémoire traumatique, comme enkystée, le cylindre est aussi une caisse de résonance, un véritable instrument musical à l’intérieur duquel le public est invité à entrer. À intervalle irrégulier, une question est diffusée et immédiatement après, les parois du cylindre sont activées par six excitateurs diffusant du son à travers l’acier. D’abord un choc interrompt la question, puis dans la résonance de celui-ci, des moments musicaux composés à partir des silences sont donnés à entendre. En devenant aussi une matière de diffusion, le dispositif donne ainsi une physicalité au silence testimonial.

Une des particularités sonores du dispositif est due aux écarts infra minces des zones de recouvrement des feuilles entre elles, qui, laissant passer un peu d’air, réagissent de manière expressive en fonction des sons diffusés. Dans ces moments, se joue une forme de silenciation inattendue, qui vient compléter celles plus évidentes qui s’incarnent dans l’opposition binaire entre un silence actif ou passif, l’action d’interrompre sa parole, ou le fait de rester silencieux. Alors que la musique de Haraka se trouve continuellement redoublée de résonances incidentes du dispositif, cette présence sonore, qui agit en plus de la musique composée, donne parfois lieu à des réaction excessives. Avec des sons résonnants, les zones de recouvrements se mettent à vibrer à la fréquence des sons diffusés, ce qui produit d’immenses sonorités proches de la famille des cuivres. Ces réactions sont telles qu’elles recouvrent entièrement les sons sources, alors inaudibles en tant que tels.

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Entretien

Scénographie : Maryline Gillois
Métallurgie : Lou Force et Pablo Cano-Rozain
Image : Makoto C. Friedmann
Soutien : ArTeC, MSH Paris-Nord, Paris 8, EDESTA, MMSH, MSH Sud