Choeur/Cohorte

Choeur/Cohorte

Installation sonore performative pour les deux chapelles du Couvent Levat de Marseille

Créée in situ dans le cadre d’une résidence au Couvent Levat, Chœur/Cohorte réactive un dispositif d’écoute que les sœurs ayant occupé les lieux de 1938 à 2016 pratiquaient lors des messes. Cet ordre diocésain, qui s’est donné le nom de Victime en rapport à son extrême dévotion religieuse, avait pour habitude de placer le chœur musical dans l’enceinte de la petite chapelle, pour que l’audience de la messe, située dans la grande chapelle concomitante, écoute le chant des voix sans en voir la source.

Cette situation d’écoute de sources non directement audibles, qu’on peut nommer acousmatique, dessine plus largement une double condition impliquant un mode d’attention concentrée, et un rapport de déprise avec l’objet.

Replacé dans sa relecture tragique, le musical apparaît comme un problème d’accès à l’irreprésentabilité de la musique. Un des premiers gestes philosophiques de Nietzsche est de rappeler que la tragédie est née du chœur et qu’elle n’est à l’origine rien que lui. Le drame est d’abord pris en charge par un médium artistique qui ne produit pas d’image. La racine étymologique de la tragédie, qui signifie le chant du bouc, traduit également cette primauté de la musique dans le projet dramaturgique.

Le dithyrambe tirerait sa définition d’une double porte. La fonction de mur vivant que Nietzsche donne au chœur a pour fonction de mener le public à construire un état d’être fictif, par l’intermédiaire duquel s’organise l’effet tragique, et dont l’épreuve ne se donne que sous la forme d’une contradiction. La métamorphose d’un individu appelé à se rassembler au moment de sa propre dispersion subjective, qui donne l’opposition du chœur et de la cohorte, n’est qu’une des innombrables images contradictoires servant à décrire l’effet tragique : une rencontre entre le rêve et l’ivresse, une vision analogique d’une force destructrice et aveuglante, un don d’apparence à la disparition, un cri d’épouvante qui retentit au plus fort de la joie, bien sûr l’entremise de la forme apollinienne et du chaos dionysiaque.

Dans un document écrit par Auguste Payan d’Augéry, ancien vicaire général de Marseille, qui relate la vie de Julie-Adèle de Gérin Ricard, fondatrice de la maison des sœurs Victimes, la pratique radicale de la dévotion frôle étonnamment les descriptions les plus lyriques de l’expérience tragique nietzschéenne. Outre le rapport au silence interprétatif, et l’acceptation sans réserve de la vie jusque dans la souffrance, un étrange passage à propos d’un Projet de rien, fait apparaître la limite à son plus brillant stade de porosité.

Le parallèle ne tient pas très loin. Mais tout de même, il est ici nécessaire, et pour ainsi dire déterminant. Au moins autant que l’est l’artifice. Pas tant pour penser à l’aspect tragique de la religion ou à la religiosité mythique qui accompagne la tragédie, que pour nommer l’élément commun qu’elles partagent. Qu’est-ce qui rend conséquent l’événement esthétique ou le miracle lorsqu’ils arrivent, comme ils arrivent toujours, c’est-à-dire sans prévenir, si ce n’est le fait d’y croire ?